LA PORTE ETROITE
« Janua loquitur »
Si la porte parlait...
Qui m'a placée à l'horizon des hommes et m'a nommée la porte étroite ? Autre Janus, à la fois ouverte et fermée dans le miroitement d'une grâce impossible !
Je suis donc promesse d'une élection ? Ne s'avise-t-on pas qu'à sortir l'élu de son cadre démocratique on introduit une instance qui exclut toute parité ? Qu'en accordant à une autorité suprême le pouvoir de choisir on perd ce qui est le plus précieux en l'homme,
sa part d' inconnu et le lieu de sa possible rédemption ?
Qu'attend donc de moi cette élite sinon l'espoir d'obtenir, au détriment de la foule, une reconnaissance privilégiée, une identité hautement garantie, un amour d'autant plus fantasmé qu'il est plus rarement distribué ?
Investie en retour par les refusés je deviens leur revanche, la marque d'une fratrie, le signe d'un ralliement fondé sur la souffrance partagée...
Chacun fait de moi sa porte étroite...Quand comprendront-ils qu'un tel passage oblige à se raboter, à perdre une partie de soi ? Et qu'est-elle sinon notre humanité, faite de tolérance et de liberté, car l'humanité s'efface dans l'exclusion ?
Il vaut mieux à tout prendre rester sur mon seuil parmi les exclus de tout ordre, dans cette assise qui n'est pas une attente mais la liesse d'un choix légitime! Savoir refuser l’octroi pour l'être, l'être humain, l'être avec tous...
Mais s’il faut que j'existe, je concevrais volontiers les conditions de mon franchissement plutôt à la façon dont Zadig a trouvé le bon trésorier non pour ses compétences mais pour son aérienne légèreté qui lui permet de danser et de sauter très haut, léger qu'il
est de tous les vols qu'il n'a pas commis !
Me traverser moi la porte étroite avec comme seul viatique sa propre légèreté, celle de l'être, à la frontière de l'aphanisis, de l'extrême abandon de soi...
La pierre rejetée des bâtisseurs n'est la pierre angulaire que si en assemblant elle rassemble! Elle indique au lieu d'un commencement une direction : que manque une seule pierre et lédifice perd sa raison d'être.
Ainsi songeait la porte...
Textes de référence:
Mathieu 7,13
Properce Élégies I, XVI
Psaume 118
Victor Hugo à-propos de la plume de Satan « Ne jetez pas ce qui
n'est pas tombé » (La Fin de Satan :Et nox facta est)
Anne Charrade
février -avril2023
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Commentaires
C'est un beau texte, qui fait réfléchir.