Requiem         I

 

CONFUTATIS

 

Le large s’est fermé dans un manque d’aurore

Sombre est l’erre des voix défuntes

 

Dans l’ouvroir assemblées s’agitent les pleureuses

tristes fileuses du blanc linceul

dont vous guettez sous d’insignes lenteurs

amantes désolées

l’indécence dans l’air lourde à vos pas de promeneuses

 

Le ciel brûlé n’a plus versé sur votre longue peine

sa plénitude seule absoute qui jamais fût promise

gonflée des fenaisons où monte commune antienne

de champs trop murs le froissement des herbes qu’on abat

 

O roses qui pliiez aux chemins de prière

que ne devîntes-vous au doigt des réprouvés

l’anneau fait de vos robes qu’effeuillèrent

leurs souffles

pour qu’on pût voir encore ô frêles en allées

lucioles tremblées sur leur défilé noir

votre alliance légère

 

  Anne Charrade  à  Serge Zlatine   et Suzanne Baille 1986

                                              II

 

LACRYMOSA

 

Ignominieuse martelée

la brume se déhanche

Près du ponton où penche l’ yeuse

monte des voix la chanterelle

 

Je l’ai vue disent-elles

la triste riveraine

sur les berges de l’étang blême

traînant après son bras son grand châle de mort

 

Pleure vieille

l’ écart injurieux du silence

et plus ne veuille ce corps qu’endeuille

l’ oubli dans son lit d’ apparat

 

Toujours son frôlement

avec l’ombre furtive entente

étrangement l’annonce avant la plainte

l’obscure l’absente la passante…

 

Et sans hâte longeant le lignage des tombes

la barque lourdement s’éloigne vers le soir

 

O mouvement muré dans l’agonie

Qui poses pour la gueuse

l’ immuable départ dont elle orne

sa passe frauduleuse

 

Pleure veille ton corps perdu

et plus n’y veuille

abîmer ta supplique

 

(AC  à S. Baille 1986)

                                                  III

 

RECORDARE

                         *

Aigrette du roncier, que cherches-tu,

chétive, sous nos humbles traverses ?

Le ciel cèle son entablement ; la mâle heure

tombe sur ta ferveur.

 

Qui hèle ? Quelles voix, revenantes plaintives,

heurtent la croix votive ?

 

Nous sommes les jeunes mortes de la rive.

Nous sommes les derniers passants

 

                         **

Sois l’esquive, hâte vive, fuite dans les futaies !

 

L’effroi où s’amortirent nos menées borde

de toutes parts la terre basse,

comme l’étal d’un fleuve irrépressible et noir,

dont les berges recluses, gisantes sans mémoire,

longtemps fermées aux lavandières, n’ont pas même

gardé, creusant les hauts herbages tutélaires,

l’ébat de leurs belles absentes…

 

Ici l’herbe se froisse hors de son histoire.

L’ocre des terres au lieu de s’ameublir

s’ébroue pour un final raidissement. Vois !

Les tournesols mutiques et croulant sous leurs ors

alentissent leur col,

comme de lourds pavots hébétés sur leur tige,

et d’un dernier œil fixe meurent entre les montjoies.

 

                         ***

Filleule du hasard, ailleurs élis ta demeure !

Ton corps ressemble au champ muet des sources que parcourt

le simple jasmin…

 

Il n’est que l’écale

laissée au chemin dessus les ronces traversières.

 

Qui cherches-tu ? Ce sont là les morts des grands chaumes…
Et voici le cortège des fugueurs des premières neiges…

 

Il s’en fut celui que je cherche…

 

Il appartient aux planes brumes, retourne-t-en !

 

Ployant sur le chartil, où vont toutes ces mortes ?

 

Nulle part ne s’en vont les servantes du soir.

 

Mais leur noir convoi, comme pour l’octroi

des noces fluviales, peine vers l’aval…

Le grand delta n’a pas de port.

 

                         ****

Dites-moi,

qui là-bas

manœuvre du ciel complice

les ombres de basse lice ?

 

C’est le passeur du temps qui s’offusque

d’être lentement tu ,

le consort aux archères creuses

de l’aveugle mort.

 

O vous qui tenez près des convoyés

le sombre lignage

- des violoneux passent sur un air

d’emprunt, tristes amoureux... -

rendez-moi volage entre les défunts !

 

Tu encours, folle aventurée,

le décri levé des pierres tombales !

Sur le léger pli de tes paumes pâles

un surcroît de nuit

tance ta ferveur !

 

Dans l’or qui se meurt

aux champs oubliés que longe l’escorte

je veux qu’on m’emporte !

le mort est si loin

que je viens quérir…

 

La mort le tient, la mort le cerne,

prête sans gage à l’affranchir.

En son asile rien ne va, à peine

le thrène mourant de nos voix…

 

Alors qu’elles, se levant,

y portent mon appel !

Frêle volant des morts, qu’il passe

de lèvres appauvries en des mains qui s’effacent…

 

                         *****

Te voilà consignée. Ton cri par l’ombre oblongue

s’en est allé : tu attends le fouet du retour.

Toi, l’attentive.

Le temps décroît, te déséquilibre,

comme le tremble sous l’orfroi

de ses feuilles, en d’indicibles froissements…

A toi d’agir, simple d’efficace.

Venu de l’absent, ton pareil disparu, le message

rassemble sa grâce fragmentée:

c’est le gain chaque fois reconduit

de nos mémoires 

quand tu te souviens…

Tu te souviens....

 

                               

(Anne Charrade 1988 à René Char)

 

 

 

 

 

 

                                                                

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